vendredi 5 août 2016

Le Coin des libraires - #27 Wondrak de Stefan Zweig

Quel plaisir ! Quel bonheur de retrouver cet auteur ! Sans avoir besoin d'y réfléchir bien longtemps, je sais que Stefan Zweig est l'auteur que j'ai le plus lu - pourtant, je suis loin, très loin d'avoir lu toutes ses œuvres ! - celui qui me touche le plus, qui a un style absolument magnifique, en peu de mots, ses écrits ont toujours un impact très fort sur moi. 

Une fois encore, j'ai lu certaines de ses nouvelles. Après Le Voyage dans le passé, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Amok, L'Amour d'Erika Ewald ou encore Le Chandelier enterré, voilà que je me lance dans Wondrak que je ne connaissais pas avant de tomber dessus en librairie. 

Recueil de sept nouvelles, enfin plutôt six + un extrait/fragment si on veut être pointilleux, d'environ 200 pages, Wondrak est le nom de la première nouvelle. 
J'ai toujours eu du mal à parler de nouvelles, je trouve ça bien plus dur que d'un roman parce qu'il y a plusieurs histoires, plusieurs personnages qui n'ont rien à voir les uns les autres et je ne trouve pas particulièrement intéressant d'énumérer toutes les nouvelles les unes après les autres. Pour cette raison, j'ai décidé de seulement parler de trois nouvelles de ce recueil : Wondrak, La scarlatine et Un homme qu'on n'oublie pas.


Résumé Le livre de poche 

Une demeurée de village cache dans les bois son grand fils, pour lui éviter d'aller à la guerre. Un jeune étudiant, humilié par l'inégalité sociale, ne découvrira qu'au moment de mourir la place qu'il pouvait avoir dans la communauté humaine. Un comédien oublié retrouve celle qui s'est jadis offerte à lui, et qu'il n'a pas voulu déshonorer...
Dans ces nouvelles longtemps inédites en français, on retrouve les grandes préoccupations humanistes de l'auteur d'Amok et d'Un mariage à Lyon : sa compassion envers le malheur humain, son horreur de la guerre, sa foi dans les valeurs - l'idéal, la générosité, l'amour - qui peuvent, en quelques instants, illuminer une existence entière. Chacune crée en quelques pages une situation dramatique qui nous empoigne, des personnages qu'il est difficile d'oublier.


Après lecture de cette première nouvelle, Wondrak, qui est relativement courte puisqu'elle fait un tout petit peu plus de 30 pages, je suis restée pantoise, pourquoi l'avoir nommé comme ça ? Il faut savoir que c'est le nom d'un personnage secondaire de l'histoire, le secrétaire de la mairie d'une petite ville située à côté de la forêt où vit Ruzena Sedlak surnommée "Tête de mort" à cause de son nez qui, et bien, n'existe pas, elle a juste un trou au milieu du visage, en gros. 
Après avoir longtemps attisé la pitié de la part des villageois, elle se fait remarquer et l'on commence à parler d'elle après qu'ils aient appris que celle-ci est enceinte. Les rumeurs vont bon train, comment c'est possible avec son visage ? qui est le père de cet enfant ? bla bla bla. 
Contre toute attente, Ruzena donne naissance à un bébé parfaitement normal et particulièrement beau, mais rapidement, après cinq mois seulement, Wondrak vient la voir au sujet de son enfant, il doit être inscrit dans les registres de la mairie, Ruzena refuse, pour elle c'est un moyen de lui enlever son fils Karel, ce petit être qu'elle chérit de toutes ses forces. Prise de panique à l'idée qu'on lui prenne son enfant elle se plie aux ordres et enregistre son fils à la mairie. 

Le temps passe, Karel a dû partir de la maison pour aller à l'école, pour ça non plus elle n'a rien pu faire - c'est la loi. Et puis vient la guerre en Autriche, tous les jeunes sont mobilisés et Karel vient d'avoir dix-huit ans, il doit lui aussi y aller. Ruzena s'y oppose, il ne partira pas, il fera ce qu'elle lui dit de faire. Elle le cache tout en prétendant que son fils est parti, que c'est pour elle une déchirure atroce, mais, Wondrak n'est pas dupe, il a compris le petit manège de Ruzena et il demande à la voir un jour pour la prévenir, l'armée arrive pour venir chercher les déserteurs, ils savent que Karel n'est pas parti comme il devait le faire. 
Terrorisée une fois encore à l'idée de perdre son cher enfant - qui n'en est plus vraiment un - elle le cache du mieux qu'elle peut, en vain puisque finalement l'armée réussira à le retrouver. 

Au début de ma lecture, je m'étais dit que Wondrak devait être le père ou alors qu'il allait avoir un rôle fondamental dans l'éducation de l'enfant, mais il n'en est rien. On l'aperçoit trois fois en tout, les deux premières pour lui "prendre" Karel, la dernière pour lui "laisser" en quelque sorte. Définitivement, je ne comprends pas pourquoi avoir choisi ce nom plutôt qu'un autre. 

Il n'empêche que j'aie beaucoup aimé cette nouvelle, elle met en scène une femme paria qui se moque de vivre à l'écart, qui au contraire désire vivre en marge des autres et veut seulement qu'on la laisse en paix. Il y a très clairement une méfiance vis-à-vis de l'administration qui pour Ruzena est la chose qui lui enlèvera son fils, ce qui est bel et bien le cas. 
On sent avec quelle force Zweig rejette la guerre et surtout cette mobilisation qui a lieu dans ce pays, la Bohême du Sud qui ne se sent pas du tout autrichienne et ne veut pas prendre part à la guerre justement. La fin de la nouvelle est très forte de ce point de vue parce qu'elle met en lumière le fait que certaines personnes ont été contraintes de participer aux guerres sans jamais avoir donné leur avis, simplement parce que "leur" pays se battait. 


  • La scarlatine

Deuxième et plus longue nouvelle du recueil, elle est celle que j'ai préférée. On suit un jeune homme, Bertold Berger tout juste arrivé à Vienne pour ses études de médecine. C'est avec plein d'espoir et d'optimisme qu'il va fouler cette ville si longtemps rêvée, mais il ne faut pas s'y tromper, la désillusion point et alors Berger est rapidement enfermé dans sa solitude et sa faible condition sociale. Il ne connaît personne ce qui lui pèse beaucoup. Heureusement, il va rencontrer un homme qu'il va idéaliser pendant une partie du récit : son voisin Schramek un peu plus vieux que lui et étudiant en droit. 
Personnification de ce que Berger aimerait être, il va rapidement déchanter après avoir fait la connaissance de l'amie de Schramek, Karla. 
Berger va toucher le fond, il va traîner dans les rues de Vienne comme une âme en peine, il va laisser tomber ce pour quoi il est venu, ses études de médecine et va s'enfoncer dans l'isolement. 

Au moment où l'on pense que tout est terminé, que Berger a baissé les bras, une rencontre impromptue va avoir lieu, Berger va rentrer tard chez lui, sans ses clés et va être obligé de sonner la concierge pour pouvoir entrer. À la vue de son état, celui-ci commence à se demander ce qui lui arrive, sa fille, elle a la scarlatine. 
À partir de là, le récit bascule complètement et Berger reprend goût à la vie, mais c'est sans compter sur le hasard qui ne sera pas de son côté. 

Parce que je ne veux pas raconter la fin de cette histoire pour vous laisser la surprise, je vais m'arrêter là. J'ai adoré cette nouvelle parce qu'elle est formidablement écrite déjà - bon un peu comme tout ce qu'il écrit, c'est vrai - et aussi parce qu'on a tous des rêves et que celui de Berger était de vivre à Vienne, de s'y épanouir avec son cercle d'amis et les choses ne se passent pas comme il le souhaitait et surtout, je pense que beaucoup d'êtres ont ressenti cette solitude quand, en réalisant leur rêve de vivre dans une grande ville ils ont dû "abandonner" famille et amis. 
C'est une nouvelle très négative, très sombre qui laisse peu de place à l'espoir, il faut bien le dire, mais c'est aussi une nouvelle avec une très grande sincérité qui n'accepte pas les faux-semblants. 
Alors, je me suis demandé, Stefan Zweig a-t-il déjà ressenti cette solitude en arpentant les rues de Vienne ? 


"J’ai perdu tout désir, tout me dégoûte. Je déteste chacune des pierres de cette ville que je foule, je hais ma chambre, je hais les gens que je croise ; quelle torture de respirer cet air froid, humide et sale ! Tout m’oppresse ici, je dépéris. Je m’enfonce comme dans un marécage. Je suis sans doute trop jeune, et de toute façon je suis trop faible. Je ne me sens pas armé pour me battre, je n’ai pas de volonté, je suis pareil à un petit garçon au milieu de cette foule affairée."

Stefan ZweigWondrak (nouvelle : La scarlatine).


  • Un homme qu'on n'oublie pas (Histoire vécue) 

J'ai choisi cette nouvelle pour conclure, je la trouve intéressante dans son propos, très différente de ce que Stefan Zweig écrit habituellement. 
Au début du récit, le narrateur (on peut aisément penser qu'il s'agit de Zweig lui-même) dit "Il serait ingrat de ma part d'oublier l'homme qui m'a enseigné deux des choses les plus difficiles de l'existence : d'abord choisir de ne pas se soumettre à la plus grande puissance en ce monde, celle de l'argent, ensuite vivre au milieu de ses semblables sans se faire jamais le moindre ennemi". 

Cet homme dont on nous parle, on va rapidement l'apprendre, il s'agit d'Anton, une sorte de vagabond qui vit au jour le jour parmi les autres. Nouvelle à la limite de l'utopie, Anton ne travaille pas, il n'a pas de logement, il vit comme il le désire. Il se promène la journée et si quelqu'un a besoin d'un coup de main, il est toujours là quelque part, parce que oui en plus, Anton sait tout faire. 
Cet homme qui vit de rien, refuse d'être trop grassement payé. Après avoir effectué un travail, on lui donne six schillings et il n'en prend que deux parce que ça lui suffit, il n'a pas besoin de plus. 
Ce que j'ai trouvé assez différent des autres nouvelles de Zweig c'est qu'un peu tout le monde est beau et gentil au premier abord. La population adore Anton parce qu'il est serviable, il est gentil et ne se plie pas aux "règles" de la communauté qui est d'avoir un travail pour gagner de l'argent, de s'offrir ce que l'on veut avec cet argent et de vivre heureux dans sa propre maison. 
Mais justement, j'ai trouvé que ça faisait trop, que quelque part en nous envoyant tout cette bonne image de la société, Zweig en peignait en réalité les travers. Il semble inconcevable qu'un homme puisse vivre et être heureux sans avoir de toit, sans même travailler, ce à quoi la cuisinière répond "Les gens lui donnent d'eux-mêmes ce qui est nécessaire. Il se moque pas mal de l'argent. Il n'en a pas besoin". 
Mettons, il n'en a pas besoin, il y a des gens qui ont l'argent en horreur - ce que je comprends tout à fait - mais se pose le problème de la générosité d'autrui, le problème d'accepter qu'un être soi différent et vive en marge de la société. Non, on ne me fera pas croire que tout le monde accepterait un marginal, que tout le monde se montrerait sympa avec lui parce que la réalité n'est pas comme ça, elle est bien plus méchante et injuste et cette fin de nouvelle "jamais Dieu ne l'abandonnera et, ce qui est beaucoup plus rare, jamais il ne sera abandonné des hommes" confirme en quelque sorte ce raisonnement puisque Zweig le dit lui-même "ce qui est beaucoup plus rare", il démontre dans un sens que si Anton ne sera pas abandonné, d'autres le seront parce que les hommes sont des êtres qui abandonnent leurs semblables, tout simplement. 
Et surtout, surtout, Zweig sous-titre sa nouvelle de Histoire vécue pour que, le lecteur justement ne s'interroge pas sur la générosité, la bonté des Hommes. 


Wondrak de Stefan Zweig, édition Le livre de poche.


J'aurais pu parler des autres nouvelles, de Rêves oubliés, Printemps au Pater ou encore La Dette qui, pour moi sont l'exemple même des préoccupations de Zweig : le souvenir, le passé. J'ai adoré ces trois nouvelles justement parce qu'elles ont un fort rapport au passé, à l'époque perdue et que l'on ne retrouvera jamais, thème que l'on retrouve vraiment très souvent chez cet auteur - il suffit de voir Vingt-quatre heures de la vie d'une femme ou Le Voyage dans le passé
Et justement, en parlant cette dernière nouvelle, si je ne m'abuse l'extrait dans Wondrak appelé Fragment d'une nouvelle n'est autre qu'un fragment de Le Voyage dans le passé

Voilà, encore une fois j'ai littéralement adoré cette lecture, mais je crois bien que j'aimerais toujours toutes mes lectures de Stefan Zweig.







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