samedi 17 décembre 2016

Le Coin des libraires - #39 Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse

Depuis le temps que je veux lire ce livre. Depuis sa sortie en grand format, il me fait de l'œil, mais j'ai toujours acheté d'autres livres avant, en partie parce que je n'aime pas du tout la couverture du format poche et parce que dans la collection Notabilia il vaut quand même quinze euros ce qui est quand même une somme vue la taille du livre - même s'il faut bien l'avouer, il est trop beau. 

Je l'ai trouvé dans l'édition Noir sur Blanc et je n'ai pas pu m'en empêcher, je l'ai acheté et lu quasiment dans la foulée. C'est le premier livre que je lis de Gaëlle Josse alors question style de l'auteure, je suis entrée en terre inconnue, mais ce n'était pas pour me déplaire.


"Rien que des souvenirs. Et bien encombrants. Ils s’agitent autant qu’ils peuvent, à croire que toutes les ombres de mon existence se sont réveillées dès qu’elles ont su que je partais, et qu’elles ne seront en paix qu’une fois leur histoire racontée."

Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island.



New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d’immigration d’Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l’épouse aimée, et Nella, l’immigrante sarde porteuse d’un très étrange passé. Un moment de vérité où il fait l’expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d’événements tragiques. Même s’il sait que l’homme n’est pas maître de son destin, il tente d’en saisir le sens jusqu’au vertige.

À travers ce récit résonne une histoire d’exil, de transgression, de passion amoureuse, et de complexité d’un homme face à ses choix les plus terribles.



Dès le début, on découvre le protagoniste, John Mitchell, le seul personnage que l'on va véritablement rencontrer - les autres sont invoqués par le biais de ses souvenirs. Cette période de forte immigration aux États-Unis m'est assez inconnue, je n'ai jamais lu grand chose dessus et encore moins sur l'île d'Ellis Island, c'est donc toute une époque que j'ai découverte par le biais de ce livre - même s'il ne faut pas oublier que ça reste une fiction. 

Le postulat est assez simple : nous sommes en 1954, le centre d'immigrations d'Ellis Island (qui a ouvert en 1892) va fermer ses portes et son directeur va devoir retourner vivre parmi les vivants, à New-York. 
Même si comme je le dis plus haut, il s'agit d'une fiction - John Mitchell n'a jamais véritablement existé - il n'empêche que, comme souvent, la petite histoire rejoint la grande. Certains éléments décrits par l'auteure se sont apparemment bien passés de la façon dont elle le décrit, je pense notamment à l'angoisse, la peur engrangée par le fait d'être refusé et de devoir retourner là où on a justement tout quitté pour recommencer à zéro. Même si le taux de rejet était (seulement) d'environ 2%, il y avait toujours les interrogations qui restaient vivaces jusqu'au moment de l'admission. 
La description des "tests" à passer relève bien de l'aspect aléatoire parfois des admissions, il suffit d'une mauvaise réponse à l'une des questions pour hériter d'une "mauvaise" lettre sur sa veste, ce qui signifie littéralement que la personne est récusée. 

Néanmoins, avant d'être l'histoire d'Ellis Island, c'est l'histoire d'un homme, c'est une histoire individuelle qui est bien celle de John Mitchell qui a passé quarante ans de sa vie sur l'île et se voit congédié neuf jours après le début du récit. 
J'ai trouvé son personnage ambigu, attachant même s'il s'apitoie trop aussi parfois, j'ai aimé l'ambiance dans laquelle il évolue, mais au-delà du fait qu'il a tendance à se "victimiser" assez facilement, je l'ai parfois trouvé carrément repoussant. 
L'espèce de "première partie" où il parle de sa femme Liz est agréable, il est encore à ce moment une sorte de "monsieur tout le monde" avec une vie pour le moins banale. En revanche, après le décès de sa femme, il ne part jamais vraiment de l'île, du moins jamais pour plus longtemps qu'une journée, il s'enterre en quelque sorte sur l'île, à l'abri des autres. Pour ce qui est de la partie qui met en scène la belle italienne Nella, j'ai trouvé Mitchell dérangeant, cruel presque - je me demande depuis si on peut véritablement considérer comme un viol ce qu'il fait, et pourtant, je pense connaître la réponse, c'est simplement qu'elle me choque. 




Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse (collection Notabilia).


Sinon, j'ai adoré toute l'ambivalence du livre, tout est paradoxal, même la solitude. Il y a la tristesse due à la solitude qui se cogne au confort et à une forme de bonheur pour cette vie éloignée de tout. Et puis, c'est aussi que notre protagoniste n'a pas du tout l'air d'être prêt à partir, je dirais même qu'il ne l'est pas du tout et qu'on le sait depuis la première page. 

C'est un des aspects qui m'a un peu chagriné je dois bien l'avouer, la fin est assez prévisible je trouve. Il n'y a pas vraiment de surprise puisque dès le début on se demande un peu ce qu'il va faire après la fermeture, après le retour parmi les vivants. Le fait qu'il en parle comme d'un rêve, comme si ça n'allait pas être véritablement lui qui va rentrer et qu'il se fonde uniquement sur des probabilités met en avant le fait que le retour n'est sans doute pas possible. 

Surtout, ce qui m'a le plus fasciné, c'est le traitement de l'île en elle-même dans l'œuvre. Elle est véritablement un personnage second, un personnage qui est omniprésent et qu'on ne peut jamais véritablement quitter. La personnification de l'île est vraiment intéressante et j'ai trouvé qu'elle amenait un autre paradoxe, également lié à celui de la solitude : le fait que l'île soit le seul autre personnage présent dans l'œuvre renforce d'un côté la solitude du personnage, "bloqué" entre les eaux et incapable de rejoindre les autres, mais d'un autre côté, cette île permet à Mitchell de ne pas se sentir complètement abandonné. Tous ses souvenirs liés à l'île, le schéma des lieux, sa chambre, son bureau sont autant de "personnages-lieux" qui viennent pénétrer la solitude du personnage. 

Contrairement à ce que l'on pourrait croire de prime abord, ce livre est très intime, on pénètre complètement dans le personnage de John Mitchell qui nous dévoile sa vie entière, de sa rencontre avec Liz qui est liée à l'île, à sa rencontre avec Nella qui va comme l'hypnotiser, jusqu'à la fermeture du centre. Voilà sa vie, une vie de solitaire, certes, mais une vie indissociable de celle d'Ellis Island, sa vie est sur cette île - il suffit de voir le passage où il explique que le corps de Liz a été enterré sur l'île. 
C'est cette intimité que j'ai vraiment aimé, cette intimité qui paraît absurde quand on y pense, car après tout il vit seul sur l'île désormais, il n'a plus besoin d'aucune intimité, et pourtant. Pourtant, il nous raconte son récit avec énormément de recul, d'une manière qui fait sonner la fin d'Ellis Island en tant que centre d'immigration, mais également sa propre fin, celle de gardien du centre puis de directeur et celle de sa vie en elle-même. 

J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce livre - depuis le temps que je le voulais faut dire - à l'opposé de pas mal de lectures qui me font vraiment très (très) envie je n'ai pas été déçue, j'ai trouvé quelques aspects un peu trop faciles, mais il n'empêche que tout est là pour que ça me plaise. Je veux dire, j'ai aimé le style de l'auteure qui est agréable, fluide et surtout sans prétention, si bien que je n'aie pas vu les pages défiler - bon après faut aussi dire qu'il fait quelque chose comme 170 pages -. L'histoire m'a aussi plu dans toute sa dimension singulière, dans la démarche de faire un héros qui ne soit non pas forcément bon, mais qui soit humain, qui a fait des erreurs et aussi de bonnes choses, en somme. 

Je pense que Le dernier gardien d'Ellis Island a été une bonne entrée en matière pour découvrir la plume de Gaëlle Josse, je peux dire que le défi a été réussi et que j'ai été emporté par cette histoire. Reste maintenant à savoir si l'auteure me plaît véritablement, pour cela, je vais plus la découvrir encore avec son deuxième roman paru chez Noir sur Blanc (toujours collection Notabilia) qui est L'ombre de nos nuits. 



"C’est aussi la peur qui me fait rester ici. Les peurs, devrais-je dire, car elles sont multiples, mouvantes et irraisonnées. Elles constituent une compagnie qui jamais ne m’abandonne, des crocs plantés dans la chair, que chaque mouvement avive."

Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island.








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