mardi 9 mai 2017

Le Coin des libraires - #52 Les Dieux du tango de Carolina de Robertis

J'ai eu l'immense chance d'être contactée par les éditions du Cherche midi afin de me proposer un roman qui paraîtra le 18 mai prochain : Les Dieux du tango de Carolina de Robertis. Je remercie une fois encore la maison d'édition pour ce roman, je l'ai beaucoup aimé.

Quand je l'ai reçu je dois dire que je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi gros (plus de 500 pages) et j'avais peur de ne pas avoir suffisamment de temps pour le lire et publier mon avis dessus avant sa sortie, mais en fait non, je l'ai commencé deux jours après l'avoir reçu et je l'ai dévoré tellement l'écriture est agréable, fluide et l'histoire addictive. 

Les Dieux du tango est un livre unique en son genre - en tout cas j'ai beau chercher je n'arrive pas à le rapprocher d'un livre que j'aie lu. Le sujet abordé est novateur non pas dans son idée (l'émancipation de la femme), mais dans sa réalisation (comment Leda s'émancipe de sa condition de femme). 

Février 1913. Leda a dix-sept ans. Elle quitte son petit village italien pour rejoindre en Argentine son cousin Dante, qu’elle vient d’épouser. Dans ses maigres bagages, le précieux violon de son père.
Mais à son arrivée, Dante est mort. Buenos Aires n’est pas un lieu pour une jeune femme seule, de surcroît veuve et sans ressources : elle doit rentrer en Italie. Pourtant, quelque chose la retient… Leda brûle d’envie de découvrir ce nouveau monde et la musique qui fait bouillonner les quartiers chauds de la ville, le tango, l’envoûte. Passionnée par ce violon interdit aux femmes, Leda décide de prendre son destin en main. Un soir, vêtue du costume de son mari, elle part, invisible, à travers la ville.

Elle s’immerge dans le monde de la nuit, le monde du tango. Elle s’engage tout entière dans un voyage qui la mènera au bout de sa condition de femme, de son art, de la passion sous toutes ses formes, de son histoire meurtrie. Un voyage au bout d’elle-même.

Une fois que Leda a quitté sa patrie natale (l'Italie) et rejoint le Nouveau Monde à Buenos Aires plus précisément, elle se retrouve confrontée à la solitude, à l'étrangeté. Arrivée seule, elle restera seule puisque son mari est mort. La voilà nouvelle dans un lieu qu'elle ne connaît pas et dont on ne cesse de lui répéter qu'il est dangereux pour les femmes. Pourtant, Leda ne va pas se laisser abattre et elle ne réfléchira jamais vraiment au fait de retourner auprès de sa famille en Italie, pis, il n'en est pas question pour cette presque femme qui se retrouve veuve et encore vierge à dix-sept dans un autre continent que le sien. 

Leda, c'est la femme de courage, celle qui tente le tout pour le tout pour réaliser ses rêves, pour vivre comme elle le souhaite, elle est l'image même de l'expression "on ne vit qu'une fois", même si elle doit mourir pour faire ce qu'elle aime, alors soit, parce que ne pas faire ce qu'elle aime, c'est mourir. 
Cette image est d'autant plus véridique dès l'instant où elle découvre le tango et les interdits qui vont avec, mais elle va persévérer, quitte à devenir un autre qu'elle-même. 

J'ai autant adoré l'ambiguïté du personnage de Leda qu'il m'a dérangé. L'auteure joue énormément sur le dédoublement d'identité - le parallèle fait avec sa cousine Cora le montre d'ailleurs bien, Leda n'est pas plus Leda que Dante, mais elle devient Cora celle qui voulait s'émanciper de ses parents, qui voulait vivre. On a plusieurs identités qui s'entrechoquent en un seul et même personnage et j'ai trouvé ça vraiment très intéressant. Mais ça m'a dérangé dans le sens où parfois je ne trouvais pas ça réellement plausible, je pense notamment aux rapports sexuels entre Leda et Carmen, mais le plaisir de la lecture a pris le dessus et je suis passée outre.

Les Dieux du tango, Carolina de Robertis, édition Cherche midi.

Parallèlement à toute cette histoire d'émancipation, il y a l'histoire du tango, bien évidemment, mais aussi celle de l'immigration à Buenos Aires au début du XXème siècle. L'auteure s'attache à décrire les conventillos où la plupart des immigrés vivaient les uns sur les autres, sans possibilité d'intimité à moins de gagner un bon petit paquet d'argent. J'adore découvrir de nouveaux horizons quand je lis un livre et j'ai été servi avec Les Dieux du tango parce que j'ai vraiment eu le sentiment d'être projeté en Argentine lors de ma lecture, je me voyais dans les rues à l'aube, lorsque Leda sort du cabaret, le Leteo après avoir passé toute la nuit à jouer du violon ou encore lorsqu'elle entre dans sa chambre-placard qui sent le moisi, mais dont elle doit se satisfaire pour ne pas que quiconque apprenne son secret. 

Et puis forcément, il y a le tango, ce qui est quand même au centre de l'oeuvre (et dans le titre aussi donc bon). C'est un réel coup de foudre entre Leda et le tango, cette musique envoûtante qui en est à ses prémisses. Bien sûr, le sexe de Leda va d'abord brider son envie d'apprendre à jouer, de se produire devant un public : elle est une femme, elle ne peut pas jouer de cette musique qui est réservée aux hommes, tout au plus, elle peut danser - et encore ! On s'en doute, Leda ne va pas se laisser faire et elle va aller plus loin, elle va relever le défi de devenir musicienne et de jouer du tango sur une scène, reste à savoir comment ça se va terminer ! 

Il y a aussi ce que j'ai appelé des "égarements" dans le livre, on suit des personnages secondaires, que Leda va croiser à un moment dans sa vie pendant plus ou moins longtemps comme cette femme avec qui elle fait la traversée en bateau et dont on va avoir accès à ses sentiments sur un très court moment puis plus rien, même chose pour l'homme qui va jouer avec elle pour la première fois, Nestore ou même pour le chef du groupe, Santiago (qui est absolument génial !). J'ai bien aimé saisir les sentiments de personnages que l'on rencontre furtivement, à la volée pour les voir disparaître définitivement, c'est un bon résumé de la vie en elle-même, des connaissances et des oublis. 

L'amour pour le tango est perceptible du moment où Leda le découvre jusqu'à la fin de l'oeuvre, le tango est ce qui la maintient en vie et rend sa vie tout à fait unique. C'est ce qui rend l'histoire aussi intéressante également, au même titre que ce terrible secret bien enfoui au sujet de Cora. 

Les Dieux du tango a été une bonne découverte pour moi, j'ai facilement senti l'atmosphère de la ville grâce à de bonnes descriptions et de belles rencontres. Ce livre interroge aussi sur la place de la femme dans la société (par le biais de l'héroïne, mais aussi avec les autres femmes qui sont couturières, danseuses ou alors prostituées), mais aussi sur l'homosexualité. 
La conclusion est pas mal, même si je l'ai trouvé un peu injuste et peut-être trop rapide (?), elle repose sur l'acceptation plutôt que sur le rejet, chose que Leda a toujours connu et que Dante a réussi à repousser.



"C’est ce qui arrive aux mélodies : elles se perdent dans l’air, comme les souvenirs. Et comme le corps. Les souvenirs, les mélodies et le corps disparaissent après notre mort. Mais un instrument n’a rien à voir avec un corps mortel. Oh non. Comme l’âme, l’instrument reste."

Carolina de Robertis, Les Dieux du tango







2 commentaires:

  1. Un livre qui me fait très envie, que j'ai vu un peu partout (surtout sur Insta ^^ ) et qui a même été présenté comme LE roman incontournable de l'été... il se passe à une époque qui me plaît beaucoup qui plus est, et il est plein de promesses, à commencer par celle de nous faire voyager... certainement une de mes prochaines lectures... ^^

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    Réponses
    1. Je te souhaite une bonne lecture alors ! Et n'hésite pas à me dire ce que tu en as pensé !

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