dimanche 10 décembre 2017

Le Coin des libraires - #79 Maharajah de M.J. Carter

Dernier roman de l'année 2017 pour la team thriller du Cherche-midi. Après avoir eu la chance de découvrir Sous ses yeux de Ross Armstrong puis Le Mystère Jérôme Bosch de Peter Dempf, c'est aujourd'hui au tour de Maharajah de M. J. Carter

Autant le dire dès maintenant, je ne trouvais pas que Le Mystère de Jérôme Bosch était un thriller, et il en va de même pour Maharajah qui m'apparaît plus comme un roman historique d'aventure - ce qui est d'ailleurs dit à la fin de la quatrième de couverture ! 


Calcutta, 1837. Le pays est sous la régence de la Compagnie britannique des Indes orientales. Figure haute en couleur chez les expatriés anglais, l’écrivain Xavier Mountstuart vient de disparaître dans les profondeurs de la jungle, alors qu’il faisait des recherches sur une secte d’assassins, les thugs. L’armée de la Compagnie envoie à sa recherche Jeremiah Blake, un agent spécial, grand spécialiste des mœurs du pays, accompagné d’un jeune officier, William Avery. C’est le début d’une aventure passionnante au pays des temples et des maharajahs. En approchant de la région où Mountstuart a disparu, celle des thugs, adorateurs de Kali, déesse de la mort et de la destruction, Blake et Avery vont bientôt découvrir une incroyable conspiration.
Un vrai roman d’aventures et de suspense qui tient à la fois du thriller historique et du voyage initiatique, un duo de personnages inoubliables : vous ne lâcherez pas Maharajah.


Tout d'abord, le grand point fort pour moi, c'est l'époque, on est directement catapulté dans l'Inde du XXe et, pour une novice comme moi, ça a été un réel plaisir de découvrir le pays, ses coutumes, etc. D'ailleurs, le fait que l'auteur ait utilisé des termes indiens pour son roman donne une épaisseur qui n'est pas négligeable. J'ai vraiment apprécié la présence du glossaire en fin d'ouvrage qui permet de nous immerger dans l'oeuvre - même si je dois avouer que j'ai toujours eu du mal avec les notes en fin d'ouvrage. 

On se retrouve alors à suivre le personnage de William Avery, un britannique qui aspire qu'à retourner chez lui, du moins, qui a en horreur Calcutta. Le seule vraie point négatif se trouve dans la mise en place que j'ai trouvé particulièrement longue. Je comprends qu'il y a la nécessité de poser les bases historiques, l'atmosphère du pays, etc. mais qu'est-ce que c'était long ! Surtout que de prime abord, le personnage d'Avery n'aide pas du tout, bien au contraire. Au début, il m'est apparu comme insipide et tout à fait insupportable. Heureusement, j'ai réussi à entrer dedans au moment où son seul et unique ami en Inde est retrouvé mort dans des conditions plutôt louches. Après cet événement j'étais dedans, prête à suivre les péripéties d'Avery et de Blake. 


Ce que j'ai particulièrement apprécié dans le roman c'est toute cette divergence d'opinion entre un Avery qui croit dur comme fer en la Compagnie britannique, qui est persuadé de son bien fondé et un Blake tout à fait désabusé qui ne se fait plus d'illusion sur ses intentions réelles. Bon, il est vrai que le fait de suivre le point de vue d'Avery est assez dérangeant, parce que le lecteur sait pertinemment qu'il y a anguille sous roche et que les intentions de la Compagnie ne sont pas uniquement dans le but de faire de l'Inde un pays débarrassé de la criminalité, de la famine et tout. Dès le début, on a conscience que la Compagnie profite allègrement des ressources du pays - notamment l'opium - et toute cette naïveté du personnage central s'avère être particulièrement énervante par moment. 
Évidemment, au fur et à mesure du roman, les certitudes d'Avery se retrouvent bafouées, mais il faut quand même attendre un bon moment avant qu'il commence enfin à douter de cette Compagnie pour laquelle il travaille. 


Maharajah de M.J. Carter aux éditions Cherche-midi


Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, le périple est des plus passionnants, on voyage à travers l'Inde, on rencontre des personnages hauts en couleurs afin de retrouver la trace de Xavier Mountstuart, véritable Dieu pour Avery et ami de Blake. J'ai vraiment apprécié toute la démarche de l'auteur quant au personnage de Mountstuart. Le fait qu'il soit glorifié par Avery qui voit en lui le poète, l'homme qui l'a décidé à venir en Inde, et l'autre point de vue, celui d'un homme qui est tout à fait imbu de lui-même et qui, dans le fond, ne mérite sans doute pas d'être secouru. 
Et puis, toute cette aventure en Inde nous montre bien à quel point l'auteur s'est documenté sur l'époque, sur les traditions du pays et les bouleversements dues à la Compagnie. J'ai vraiment apprécié ces recherches historiques et la façon dont elles sont insérées dans l'histoire fictionnelle.

Roman d'aventure donc, mais aussi premier roman qui permet de présenter le duo de choc Avery/Blake que l'on retrouve dans d'autres romans par la suite. Comme je le disais plus haut, de prime abord Avery apparaît comme insipide et même franchement antipathique parfois, on aurait presque envie de lui dire de quitter son monde de bisounours pour regarder autour de lui. Je pense que c'est en grande partie à cause de cette aveuglement qu'il reste dans le flou durant si longtemps. On sent que Blake est le débrouillard, le véritable enquêteur, mais on n'a pas accès à ses pensées, ni mêmes à ses faits et gestes si bien que comme Avery, nous restons dans le flou, ignorant la situation. Évidemment narrativement parlant, ça permet de créer encore plus de surprise, on reste extérieur à l'enquête si bien que tous les éléments nous tombent dessus sans crier gare et forcément on reste pantois - en tout cas, personnellement il y a plein d'éléments que je n'ai pas vu venir ! 

Par contre, je déplore un manque d'informations concernant Blake, on ne sait pas grand chose sur lui - il est en Inde depuis un certain nombre d'années, il parle énormément de langues/dialectes ce qui lui permet de se fondre dans la masse et il a aimé une indienne qui est décédée. Finalement, c'est assez mince comme éléments et c'est dommage qu'il soit toujours présenté comme un personnage particulèrement énigmatique jusqu'à la fin. Bon, après, il est vrai que c'est un premier volet, du coup l'auteur a probablement voulu faire de ce roman une mise en bouche, il nous a donné quelques éléments, mais pas trop non plus, histoire qu'on ait encore des choses à découvrir dans les suites ! 



Finalement, les deux personnages se complètent bien, la naïveté agaçante d'Avery s'équilibre bien avec la lucidité de Blake, ils forment un duo attachant et intéressant. 
Si on met de côté la longueur de la mise en place, j'ai été séduite, entraînée par les personnages à la découverte de ce pays durant cette période tout à fait obscure pour moi. Je ne m'attendais pas du tout à ces retournements, si bien que jusqu'au bout j'ai été surprise et c'est ce que je demandais. C'est une bonne mise en bouche que M. J. Carter nous a livré, même s'il aurait pu passer sur certains éléments afin de raccourcir un peu son roman et ainsi éviter les longueurs. 
J'espère pouvoir découvrir la suite des aventures d'Avery et Blake, histoire de conforter mon avis sur ces deux héros ou au contraire, d'en changer.






samedi 2 décembre 2017

Le Coin des libraires - #78 Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan

Voilà des jours que je repousse l'écriture de cet article. Je ne sais pas encore quoi penser de ce livre et donc quoi en dire. 
Rien ne s'oppose à la nuit est le deuxième livre que je lis de Delphine de Vigan, après Jours sans faim qu'une amie m'a prêté il y a de ça des années. C'est un livre qui attend dans ma bibliothèque depuis longtemps maintenant - depuis sa sortie en poche je crois bien. 

J'avais trouvé Jours sans faim très intimiste, à la fois touchant et déchirant, j'ai trouvé Rien ne s'oppose à la nuit délicat et violent à la fois. 

C'est une lecture qui m'a fait me poser énormément de question sur le rôle du métier d'écrivain dans la vie d'une personne, sur ce qu'il peut et doit dire, sur ce qui est admissible et ce qui est, au contraire, inacceptable. 
Alors j'en reviens toujours à cette question : Rien ne s'oppose à la nuit, éloge à une mère ou simple déballage personnel dans le but de faire de l'argent ? 
C'est une vraie question que je me pose et dont je n'arrive pas à trouver de réelle réponse qui soit suffisamment argumentée ce qui est quand même dérangeant quand on souhaite donner son avis sur un livre. 


Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence. D. de V.



À la fin de ma lecture de ce livre qualifié à tort de "roman" - on peut appeler ça un témoignage, un récit en quelque sorte autobiographique mais je considère qu'on est bien loin du roman, mais passons - je me suis immédiatement interrogée sur les droits de l'auteure, droits qu'elle interroge elle-même tout au long de son livre, mais qui ne donnent pas pour autant une réelle légitimité à sa démarche. D'où sort une telle démarche d'ailleurs, un besoin d'exorciser un passé trop lourd, d'étaler une vie bien triste ou simplement de gagner la sympathie de milliers de lecteurs ? Quel est le but premier finalement, un hommage ? une dénonciation ? 

L'auteure remet toujours en cause sa démarche sans pour autant la justifier d'une façon plus que d'une autre. Elle est hantée par cette histoire, par la vie de sa mère qui a décidé de mettre fin à ses jours, mais la question que je me pose du coup est, maintenant que son livre est paru, qu'il a reçu mille et mille louanges, vit-elle mieux ? est-elle parvenue à passer à autre chose ? 


À mon échelle, je ne peux dire si sa démarche est légitime, en tout cas elle amène à une certaine controverse, dans quelle mesure peut-on étaler la vie d'autrui ? à quel moment peut-on considérer que c'est un besoin et à quel moment est-ce un nécessité commerciale
Il me semble un peu facile d'être heureux de remporter des prix littéraires pour avoir raconter la vie de sa mère, pour avoir ressorti des histoires sordides telles que le possible attouchement que Lucille aurait subit par son père. Je pense qu'il faut être pudique quand on aborde ce genre de sujet, quand on écrit sur un sujet aussi sensible que sa propre famille et a fortiori de sa propre mère qui a choisi de se donner la mort. 


Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan, éditions Livre de poche.



"Il me semblait qu’il valait mieux contenir le chagrin, le ficeler, l’étouffer, le faire taire, jusqu’au moment où enfin je me retrouverais seule, plutôt que me laisser aller à ce qui n’aurait pu être qu’un long hurlement ou, pire encore, un râle, et m’eût sans aucun doute plaquée au sol."

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit


Peut-être que je suis trop dure, peut-être que l'auteure a voulu écrire sur sa mère afin de lui rendre hommage et si c'est le cas, félicitations parce qu'elle est restée juste, sans tomber dans la facilité ni la détestation, Delphine de Vigan nous a dépeint le visage d'une femme meurtrie par la vie, une femme toujours solitaire qui peine à s'en sortir avec ses deux filles. 
C'est un portrait attachant et fragile que l'auteure a brossé, un portrait qui, je pense, voulait être le plus proche possible de la réalité alors là-dessus je n'ai rien de négatif à dire. 

En mettant de côté toutes ces questions de ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas, je dois dire que j'ai apprécié ma lecture. Bon, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dedans, l'enfance de Lucille étant relativement ennuyante j'ai trouvé que c'était un peu long, mais une fois qu'on arrive au moment où Lucille est adolescente, j'étais partie. 

Entrer comme ça dans la vie d'une personne décédée m'a vraiment fait bizarre, parfois j'étais vraiment mal à l'aise : avoir l'impression de connaître quelqu'un quand on ne l'a jamais rencontré, c'est un sentiment étrange, alors entrer pleinement dans sa vie, connaître ses habitudes, ses qualités comme ses défauts, c'est délicat. 
Savoir qu'il ne s'agit pas d'un roman renforce justement ce sentiment de gêne, de voyeurisme et c'est surtout ça qui m'a dérangé. 

J'ai apprécié les passages où l'auteure parle de sa démarche, où elle parle de ses hésitations, ses cauchemars, son besoin de parler, j'ai trouvé que ça rajoutait une certaine épaisseur à l'oeuvre sans que, comme je l'ai dit plus haut, ça rende la démarche légitime. 

J'ai aimé découvrir Lucile et sa famille, découvrir ses habitudes même si comme je l'ai dit certains passages étaient clairement gênants, mais ça m'a plu et si je devais juger ce livre uniquement sur cette appréciation, je dirais que j'ai vraiment beaucoup aimé et que ça a été une excellente lecture. J'ai apprécié la plume de Delphine de Vigan, on dira ce qu'on voudra, je ne trouve pas que ce soit plat ou quoi, au contraire j'ai trouvé certains passages poétiques tout en étant modestes. 

J'aimerais demander à l'auteure quel était le but de sa démarche, l'intérêt de faire autant de pub lors de sa sortie si ça n'est pas dans une optique commerciale mais intimiste, c'est-à-dire simplement dans un besoin d'écrire pour exorciser, d'écrire pour dire et enfin se libérer, peut-être que j'en aurais l'occasion un jour, ou peut-être pas. Quoi qu'il en soit je reste fixée sur cette ambivalence, sur ce questionnement. 

Il n'empêche que je lirai d'autres livres de Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie qui m'attend sagement dans ma bibliothèque déjà, mais aussi Un soir de décembre que j'aimerais lire.


"Lucile est devenue cette femme fragile, d’une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent subversive, qui longtemps s’est tenue au bord du gouffre, sans jamais le quitter tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions, cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable à perpétuité, murée dans sa solitude."

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit.





Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...